Qu’est-ce que la gauche et à quoi sert-elle ?
Le rôle de la gauche est d’abord de défendre le monde du travail. Le système capitaliste, seul capable de s’adapter à la mondialisation et l’instantanéité des échanges, a aussi une logique naturelle qui veut que prime toujours l’intérêt du plus fort, c’est-à-dire du capital financier le plus concentré, pas celui de ceux qui créent les richesses. Lorsque la finance dérégulée gave l’actionnaire au détriment de l’investissement et appauvrit le travailleur, prive les petites entreprises de financements et de clients solvables, arrivent les crises systémiques qui, comme en 2008, peuvent mettre en danger l’ensemble de la planète.
Si nous ne sommes pas, aujourd’hui, encore sortis de cette phase de crise, c’est parce que c’est toujours plus pour l’actionnaire et toujours moins pour le travailleur (salarié, sous-traitant, indépendant…) qui reste la règle et que, malgré les discours et les promesses enflammés des gouvernants, rien n’a été véritablement régulé depuis. Ainsi, des milliers de milliards de dollars sortent-ils chaque année du cycle économique pour s’entasser sur des comptes offshore installés impunément dans les paradis fiscaux dans lesquels ils ne contribuent plus à produire la moindre richesse économique.
La dynamique de développement des inégalités s’est amplifiée encore depuis 2008, elle atteint maintenant des sommets absurdes : aujourd’hui les 165 personnes les plus fortunées de la planète possèdent plus que les trois milliards et demi les moins riches !
Le rôle de la gauche, dans le monde, comme dans chaque pays, c’est prendre en compte l’ensemble des composantes de la société, sans opposer à priori les unes aux autres afin de redresser cette situation, pour que la création de richesses économiques se poursuive au bénéfice du plus grand nombre. Le rôle de la gauche c’est de mettre en place une régulation qui permette, notamment à travers l’action des puissances publiques, davantage de visibilité, de stabilité et donc de confiance afin que l’investissement reprenne, ce que le libéralisme effréné et le monétarisme démontrent être en incapacité de faire. C’est ce qui doit permettre de sortir de la phase de crise pour que les producteurs de la richesse soient équitablement rémunérés et qu’ainsi la richesse soit plus équitablement répartie, dans un cercle vertueux car les salariés ou les prestataires des uns sont aussi les clients des autres et ne doivent donc pas être paupérisés.
C’est la condition pour le développement harmonieux d’une société qui favorise l’épanouissement humain, ce qui est la finalité de la politique, et singulièrement la finalité de la gauche.
Pour accomplir cela, de quoi a besoin la gauche ? D’abord d’intelligence. De l’intelligence de la situation, de la compréhension des ressorts profonds du monde dans lequel nous vivons et non d’œillères tournées vers le passé et vers la nostalgie de ce qu’était le siècle précédent et des mirages dans lesquels le XXe siècle a si souvent sombré.
En France, ici et maintenant, cela veut dire avoir la capacité de parler vrai et de proposer une nouvelle dynamique pour redresser le pays dans la perspective de la défense de son modèle social et de ce qui constitue l’histoire de son peuple. Il ne s’agit pas de dissoudre la France dans la mondialisation, ou de l’adapter à la chaussure de la globalisation financière, comme avec un chausse pied, il s’agit de donner le moyen à la France, dans la mondialisation qui est la forme du monde dans lequel nous vivons, d’être pleinement elle-même avec ses talents, ses capacités et les valeurs auxquelles ses citoyens sont attachés.
Le libéralisme et le socialisme, les deux utopies progressistes du XIX° siècle, sont loin derrière nous et plus du tout adaptées au monde d’aujourd’hui, ce que des doctrinaires impuissants, notamment au sein du Parti socialiste français se refusent encore à admettre.
Manuel Valls, par son discours, a incarné, plus que d’autres, depuis de nombreuses années, cette gauche moderne, dans laquelle nous nous reconnaissons, celle qui cherche à aller à la racine des choses pour changer la donne. Sans tabou, avec énergie, avec volonté.
L’opportunité se présente maintenant que le discours se transforme en réalité. Il ne faut pas la laisser passer. Il est, hélas, si elle n’était pas saisie, peu probable qu’elle se présente une seconde fois, à court terme.
L’action de l’État doit sortir de la schizophrénie pusillanime dans laquelle s’est installée la gauche traditionnelle. Prenons quelques exemples :
- La modernisation économique doit être au cœur du projet : La France a de nombreux atouts dans le domaine des Technologies de l’Information et de la communication comme du numérique. Elle regorge de talents, de start-up et d’entrepreneurs individuels performants. Au moment où les marges de manœuvre économiques sont limitées par la crise, comment peut-on continuer à défendre des emplois qui n’ont plus aucun avenir parce que les techniques et les usages les rendent obsolètes, alors qu’il faut investir dans la création de nouveaux emplois durables. Ce n’est pas en finançant un emploi qui n’a plus d’utilité économique ni sociale que l’on aide les travailleurs. C’est en les formant tout au long de la vie pour être compétents pour de nouveaux emplois, et en leur apportant tous les moyens pour ne pas être les victimes d’un chômage décourageant dans la période intermédiaire entre deux emplois, que l’État va aider le monde du travail. Mieux vaut favoriser l’émergence de Silicon Valleys à la française que de nationaliser des hauts-fourneaux dépassés. C’est seulement ainsi que l’on fera entrer la jeunesse dans le monde du travail et non dans celui de la précarité,
- La modernisation sociale doit aller de pair : Pour cela, l’organisation de la défense et de la représentation des travailleurs dans l’entreprise et avec les pouvoirs publics, est très importante, on le voit dans les pays qui réussissent mieux que le nôtre. L’émiettement et la division syndicales sont la cause et la conséquence de leur non-représentativité. Il faut une nouvelle donne du droit syndical, dans l’entreprise, qui mette les salariés et non les bureaucrates aux commandes du monde syndical. Il faut accorder des droits collectifs réels et couper les torrents de moyens matériels qui s’abattent sur des petits groupes et noient l’initiative citoyenne. Des permanents syndicaux complètement coupés de leur base qui défendent avant tout leurs propres intérêts matériels alors qu’ils ne représentent pas 8 % des salariés, souvent même pas 5% dans le privé, ce n’est pas l’avenir. La SNCF, par exemple, championne depuis 20 ans des journées de grève dans notre pays, finance 7000 postes a plein temps de représentants syndicaux. Cette grande « entreprise » de 7000 salariés n’a qu’une seule fonction, préparer des élections internes qui répartiront la manne entre les groupes concurrents qui la dirigent, et pour cela, animer une surenchère qui conduit à fabriquer le seul produit de ce système : la grève. Cela aide-t-il les travailleurs ? Cela améliore-t-il le fonctionnement de la société française ?
- Au lieu de favoriser l’émergence de moyens qui permettent aux travailleurs précaires, à la jeunesse laborieuse de se défendre, aux ouvriers et aux employés en difficulté de se faire entendre, on couvre d’argent des systèmes institutionnalisés obsolètes, qui ne défendent que les intérêts corporatistes des personnels les plus installés, et le plus souvent de ceux qui ont depuis très longtemps arrêté de travailler pour se consacrer à l’appareil syndical comme seule finalité. C’est ce qui permet de comprendre à la fois l’infini morcellement du syndicalisme français et le fait que sa pénétration dans les entreprises est inférieure à celle du syndicalisme sud-coréen du temps de la dictature…
- L’adaptation du droit du travail aux modes de vie actuels ne doit pas attendre : schizophrénie encore, lorsque l’on pousse, à bon droit, au nom de l’égalité des sexes, les femmes à acquérir leur indépendance économique et sociale par le travail. Si femmes et hommes travaillent également, qui, pendant la journée, aux heures de travail, ira faire les courses ? Tous les ménages n’ayant pas le moyen de se payer du personnel de maison, les magasins, en dehors des centres villes touristiques, restent désespérément vide aux heures où la majorité de la population travaille. C’est donc le soir et le week-end que la population laborieuse peut faire ses courses. C’est là que se dresse un groupe de permanents syndicaux, devant lequel l’État cède depuis des années, qui interdit travail de soirée et travail de week-end dans un secteur dans lequel il est aujourd’hui vital, pour l’emploi comme pour la société. Imagine-t-on qu’on interdise aux restaurants d’ouvrir le soir et le week-end ? Que l’on ferme les transports en commun le soir et le week-end ? Que l’on arrête les médias le soir et le week-end ? On déplorerait ensuite la fermeture massive des restaurants, des transports en commun, et des médias, comme on déplore aujourd’hui celle des commerces !
Ce n’est pas toujours « la faute aux autres » : La liste pourrait être longue de tous les domaines dans lesquels ce ne sont pas les seuls dérèglements monétaires, ou La Chine qui nous posent problème, où ce n’est pas la politique, souvent discutable, et parfois absurde de la commission européenne qui est la source ou l’élément aggravant d’une difficulté, mais l’incapacité des élites françaises à regarder en face la réalité. Que ce soient les problème de la Santé, de la sécurité, du logement, de l’École, ou de l’intégration à la Nation de l’apport de l’immigration, ce n’est pas au-delà des frontières que se trouvent le cœur de nos problèmes, et c’est ici que se trouve la solution.
Si nous sommes capables de prendre à bras-le-corps les problèmes de la société française et de la faire progresser, alors nous aurons beaucoup plus de force pour réorienter la construction européenne, réorientation sans laquelle rien de durable ne peut être fait dans notre pays, sans laquelle nous nous pourrons peser pour modifier durablement le cours actuel de la mondialisation, en faveur d’une vraie régulation.
Manuel Valls est aujourd’hui Premier ministre. Il peut mettre en œuvre la politique de rupture en faveur de laquelle il s’exprime depuis longtemps et qui en a fait le ministre le plus populaire du gouvernement précédent, par-delà les clivages partisans caducs. Il peut ainsi choisir l’avenir et traduire en actes ce que son discours a représenté comme espoir
Il peut aussi, à l’inverse, se laisser enfermer par les composantes archaïques d’un gouvernement qui n’est pas véritablement l’expression de la gauche moderne, mais d’un Parti Socialiste exsangue et sourd tant au monde de l’entreprise, qu’aux comportements innovants ou aux préoccupations quotidiennes des couches populaires. Comme souvent, dans notre pays, quelques décisions symboliques permettront très vite de voir dans quel sens agit ce gouvernement.
Son Discours de politique générale, devant le Parlement, montre qu’il ne manque ni de dynamisme ni de volonté. Il lui reste maintenant à agir.